mercredi 17 août 2016

François Truffaut, lecteur de Maryse Choisy



Dans le texte, que nous reproduisons ci-dessous, paru dans le magazine Arts en juin 1959, François Truffaut explique la genèse de son premier long métrage, Les Quatre Cents Coups, en citant Maryse Choisy.


JE N'AI PAS ÉCRIT MA BIOGRAPHIE EN QUATRE CENTS COUPS

Contrairement à ce qui a été souvent publié dans la presse depuis le Festival de Cannes, Les 400 coups n'est pas un film autobiographique. On ne fait pas un film tout seul et si je n'avais voulu que mettre en images mon adolescence, je  n'aurais pas demandé à Marcel Moussy de venir collaborer au scénario et de rédiger les dialogues. Si le jeune Antoine Doinel ressemble parfois à l'adolescent turbulent que je fus, ses parents ne ressemblent absolument pas aux miens qui furent excellents mais beaucoup, par contre, aux familles qui s'affrontaient dans les émissions de TV « Si c'était vous ? » que Marcel Moussy écrivait pour Marcel Bluwal. Ce n'est pas seulement l'écrivain de télévision que j'admirais en Marcel Moussy, mais aussi le romancier de Sang chaud, qui est l'histoire d'un petit garçon algérien.
Dans son livre sur les problèmes sexuels de l'adolescence, Maryse Choisy raconte la curieuse expérience tentée par l'empereur Frédéric II. Il se demandait dans quelle langue s'exprimeraient des enfants qui n'auraient jamais entendu prononcer une parole. Serait-ce le latin, le grec, l'hébreu ? Il confia un certain nombre de nouveau-nés à des nourrices chargées de les nourrir et de les baigner ; il interdit rigoureusement qu'on leur parlât ou les caressât. Or tous les enfants moururent en bas âge : « Ils ne pouvaient pas vivre sans les encouragements, les mines et les attitudes amicales, sans les caresses de leurs nurses et de leurs nourrices ; c'est pourquoi on appelle magie nourricière les chansons que chante la femme en berçant l'enfant. »
C'est à l'expérience de l'empereur Frédéric que nous avons pensé en écrivant le scénario des 400 coups. Nous avons imaginé quel serait le comportement d'un enfant ayant survécu à un traitement identique, au seuil de sa treizième année, au bord de la révolte.
Antoine Doinel est le contraire d'un enfant maltraité : il n'est pas « traité » du tout. Sa mère ne l'appelle jamais par son prénom : « Mon petit, s'il te plaît, tu peux débarrasser la table » et pendant qu'il s'y emploie, son père parle de lui comme s'il n'était pas là : « Qu'est-ce qu'on va faire du gosse pendant les vacances ? ».
Enfant non désiré, Antoine à la maison ne « l'ouvre pas » ou presque, terrorisé par sa mère qu'il admire confusément ; il se rattrape dehors où il fanfaronne volontiers ; on peut supposer qu'il a un avis sur tout et que ses copains de classe le redoutent un peu puisqu'il se montre aussi persifleur et insolent qu'il est humble, sensible et sournois à la maison. La peur de sa mère l'a rendu un peu lâche avec elle, maladroitement servile, ce qui se retourne encore contre lui.
Son comportement lorsqu'il est seul est significatif : un mélange de bonnes et mauvaises actions ; il met du charbon dans le feu mais s'essuie les mains aux rideaux, prélève de l'argent sans doute volé de « sa planque » secrète, met le couvert, se sert des ustensiles de sa mère : l'appareil à recourber les cils. Il est déjà un perpétuel angoissé, puisqu'il ne sort d'une situation compliquée que pour retomber dans une autre. Enfermé dans un réseau de mensonges qui s'emboîtent, il vit dans la crainte et l'anxiété ; il est pris dans un engrenage stupide  et se ferait tuer plutôt que d'avouer quoi que ce soit. Qui a volé un œuf est obligé de voler un bœuf, Antoine Doinel est un enfant difficile. Et comme disait Marcel Moussy : « Si c'était vous. ».


Précisons cependant que le passage de Maryse Choisy que cite François Truffaut n'est pas tout à fait de Maryse Choisy : c'est une citation de Salimbene de Parme, moine franciscain du XIIIe siècle, à l'intérieur d'une citation du Prof. F. Hamburger, le tout traduit, certes, par Maryse Choisy.

Ce passage de Problèmes sexuels de l'adolescence (Aubier, éditions Montaigne, collection « L'Enfant et la Vie », 1954) où Maryse Choisy évoque cette expérience de l'empereur Frédéric II, est repris à son article « Insécurité, culpabilité, péché (Aimons-nous la liberté ?) », paru dans Psyché en août 1949. L'article était suivi d'un autre qui aurait pu intéresser François Truffaut : « Les parents sont-ils nécessaires ? », du Dr René A. Spitz.




mardi 9 août 2016

La main de Joseph Delteil (Portraits chirologiques, II)


Dessin de Rim, dans les Nouvelles Littéraires du 19 avril 1930


En avril 1925, Maryse Choisy fait le portrait chirologique de Joseph Delteil, qu'elle reprendra dans son Delteil tout nu.



LA MAIN DE JOSEPH DELTEIL

M. Delteil est un sentimental qui s'ignore et un romantique qui s'est trouvé. Mais il a également le souci constant d'être l'homme d'aujourd'hui et même de demain. D'où lutte perpétuelle entre les deux tendances. Le normal et l'artificiel, chez lui, se mélangent à doses égales. Original à tout prix, par tempérament, par habitude, par goût et par une sorte de religion personnelle. Il manie avec la même habileté le grand coup de brosse et le pinceau subtil.
Lune lui donne beaucoup d'imagination et une imagination souvent vicieuse, Jupiter une sorte de mysticisme à rebours et de l'ambition. Apollon lui confère le souci de l'art, le goût du jeu et du risque. Il est curieux comme un vieillard et jeune dans ses enthousiasmes comme un primitif.
Il est susceptible sans en avoir l'air, sceptique sans conviction, et, en amour, d'une jalousie cachée sous les dehors d'un cynisme qui s'affiche trop pour être sincère. Sous les habits de la génération très moderne il porte la cape romantique. Une intelligence très souple, très adaptable, ainsi que le témoigne sa ligne de tête, la plus remarquable à ma connaissance. Sa volonté est toute puissante. Elle va jusqu'à l'obstination, jusqu'à la diplomatie. C'est en cédant quelquefois qu'il domine.
Il désire et redoute en même temps la passion. Ses colères ont la durée d'un feu de paille. Mais ses sympathies et ses antipathies sont tenaces. Il est capable d'un beau geste désintéressé au moment où l'on s'y attend le moins.
Sa sensibilité est des plus compliquées et des plus changeantes. Subtile et violente tour à tour, tendre et cynique, indulgente avec une pointe de sadisme.
Mais son trait dominant est le goût de la profanation. En vérité, M. Delteil est un iconoclaste, mais avec tant de bonne grâce...


Il convient, pour le meilleur effet, de mettre ce portrait en regard de l'article de Joseph Delteil paru dans les Nouvelles Littéraires du 2 juillet 1927, au moment de la parution de La Chirologie :



LE MYSTÈRE DES MAINS

Autant que j'aie bonne mémoire (mais je l'ai mauvaise), j'eus le plaisir de faire la connaissance de Maryse Choisy à l'auberge Saint-Pierre à Dampierre. J'étais en train d'écrire je ne sais plus quoi, dans la propre chambre, s'il vous plaît (si j'arrange un peu les choses, ne m'en veuillez pas, c'est mon génie, et je m'y tiens) où Alphonse Daudet écrivit Sapho. (Je signale en passant la chambre Daudet-Delteil aux amateurs de points de vue).
Enfin Maryse vint... Je dis enfin, parce qu'enfin, vers la fin d'un livre, on ne sait plus trop où l'on en est, les arbres vous empêchent de voir la forêt, et qu'en somme on est tout à fait mûr pour bien accueillir un chiromancien.
Ce chiromancien en l'espèce fut une chirologienne. Oh ! ne me demandez pas des précisions sur la différence qu'il y a (sans doute) entre la chirologie et la chiromancie. La seule vue que j'en aie, est que les chiromanciens doivent être des vieillards barbus, et les chirologiennes de jeunes jolies femmes.
Si vous voulez en savoir davantage, lisez ce gros livre de 400 pages, avec dessins à la clé, intitulé : Traité de Chirologie !
J'entends que vous me demandez si je l'ai lu... Peut-être. En tout cas j'y crois, et de tout mon cœur. J'ai la foi, celle du charbonnier, qui est la meilleure, et peut-être la seule.
Qu'est-ce que connaître en ce monde ? Et qu'est-ce que croire ? Je me demande parfois si le jaguar prêt à bondir, et qui sent en lui tous ses muscles, tous ses nerfs un à un en place et à point, n'en sait pas davantage sur l'anatomie féline qu'un vieux professeur du Muséum ?
La nature nous dépasse, nous surpasse, nous embrase, la nature et son fils le mystère. Le comble de la sagesse, ce serait d'être filial, c'est-à-dire obéissant, et croyant. Allons, faisons joujou avec les phénomènes. Les phénomènes, c'est la figure du ciel, c'est l'influence de la lune, ce sont les recettes de bonne femme, c'est le rebouteux et c'est le sorcier. C'est le sens de mon écriture, ce sont les lignes de ma main.
C'est le charme des vieux almanachs (ou des almanachs à la vieille mode) de nous dire à quel âge il faut couper le bois, quel jour tuer le cochon, et à quel moment précis des cérémonies du Jeudi Saint (le moment, je crois, où le prêtre s'agenouille trois fois) il faut remuer dans sa poche avec un peu de terre les graines qu'on ira semer en hâte sitôt la messe dite, en récitant un Ave Maria en latin et deux Je vous salue Marie...
On ne peut pas faire un pas sans qu'une coïncidence vous tombe sur le nez. Coïncidence, c'est le nom savant du mystère. Ces jours-ci, nous étions en train de causer de ces choses, la duchesse de Clermont-Tonnerre, Montherlant et moi. On en vint à se demander la date de notre naissance. Et nous nous aperçumes, avec quelque hallucination, que nous sommes tous les trois nés le même jour... Coïncidence ?
En somme, il n'est ici-bas qu'empirisme. Les formules de la chimie, la loi de la gravitation universelle : constatations, c'est-à-dire empirisme. Constater, comme le singe, comme le chien : voilà tout le rôle de l'homme. Et je songe avec pitié à ces demi-savants, à ces quart-de-savants qui se moquent d'un paysan, s'il opine que les hirondelles, lorsqu'elles volent bas, présagent la pluie. Eh ! qu'importe que l'hirondelle marque la pluie de son propre mouvement, ou parce qu'avant l'orage les insectes descendent à ras de sol, si elle la marque ? Dans la série de l'explication, paysan et savant sont tous les deux au bas de l'échelle (à un échelon près, si cela vous amuse ; mais comme l'échelle est infinie, un échelon de plus ou de moins... Voulez-vous un bon point ?)
A droite, à gauche, tout est mystère, et le peu que nous sachions, c'est une fausse alerte. Allez-y, mes agneaux ; demain vous attend la gueule ouverte. Notre cervelle est enfermée dans un sac de caoutchouc. En vain, à coups de poing, à coups de pied, essaye-t-elle d'ouvrir un passage. Mais l'espace est élastique, tout toujours se referme. Tout est rond, on fait le tour et on recommence. Tout coule ? Non, pas même. Tout tourne, et tout tourne sur place. Si nos passions, notre injustice, notre malice n'y jetaient quelque beau désordre, quel cercle clos que la vie ! A peine çà et là, dans le bec d'un oiseau ou dans l’œil d'un mage, apercevons-nous un fil du tissu, mais le tissu de toutes parts nous enveloppe sans couture. A peine trouvons-nous par hasard, qu'un dieu dans ses jeux oublia sur l'herbe, quelqu'une des clefs des phénomènes ; hélas ! elle n'ouvre qu'un cul-de-sac. Parfois, l'espace d'un éclair, nous avons la vision de quelque loi unique s'étendant en forme d'ailes sur l'ensemble de la création ; le lendemain, ce n'est qu'un brin de paille dans notre télescope. Ah ! l'un des sommets de la pensée, c'est encore cette vieille toupie de Pénélope. Tout le travail, tout le génie de l'homme ne sont-ils pas destinés à se perdre dans le pur mouvement de l'escarpolette, de quelque escarpolette sans attache et sans fin, se balançant muette au-dessus de l'abîme, entre la Matière et l'Esprit ?....

Dessin de Ralph Soupault, dans Comoedia du 19 juillet 1931


lundi 8 août 2016

Portraits chirologiques, I

C'est d'abord comme chiromancienne que Maryse Choisy se fait connaître. Elle a été initiée à la chiromancie pendant son premier séjour en Inde, en 1924. En septembre 1925, son premier article paraît dans le Mercure de France et il est consacré à cette science : « Les données psychologiques de la main ». Au même moment, on lui confie, à l'Intransigeant, une rubrique intitulée « Ce que disent leurs mains » et dans laquelle il s'agit de faire le portrait chirologique de personnalités (littéraires, politiques, sportives, etc.). Elle tient cette rubrique jusqu'en 1927, date à laquelle elle publie son étude très sérieuse et remarquée,  La Chirologie.
Voici une première sélection de ces portraits chirologiques de Maryse Choisy dans l'Intransigeant :
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(29-09-1925)
RACHILDE

Mme Rachilde est une lunarienne pure, voire une lunarienne exagérée, avec tout ce que la lunarienne comporte d'imagination riche, fastueuse, exubérante et même — avouons-le — imagination un peu vicieuse, ainsi que l'indique le caractéristique point rouge qu'elle porte sur le mont de Lune.
Cependant, si l'on en juge par le pouce indiquant une volonté harmonieuse et logique, encore que passionnelle et quelquefois obstinée, la ligne de tête droite et les doigts aux tendances carrées, intellectuellement Mme Rachilde est faite toute de loyauté, de principes sévères et d'équilibre parfait.
De cette contradiction entre entre une imagination vicieuse et un bon sens bourgeois résulte une lutte continuelle qui se résout, d'une part dans l'écrivain d'envols et d'images que nous connaissons et, d'autre part, dans la femme irréprochable et exquise que ses intimes apprécient.
Un autre trait dominant de cette main est l'esprit d'indépendance qui doit se manifester à tout prix, toujours, malgré et contre tous et qui brise tous les obstacles avec la violence effrénée d'un pur sang emporté. (On note sur l'empreinte l'écartement démesuré des doigts qui est typique de l'indépendance absolue.)
Ajoutons à cela une grande bonté révélée par la ligne de cœur branchue, des enthousiasmes sans cesse renouvelés, une activité cérébrale intense, une conception très masculine dans maint domaine, un grand amour de la lecture (et ceci est très rare dans les mains des gens de lettres), un besoin de solitude et de contemplation, une prédilection pour l'instinct et la ligne directe plutôt que pour les détours et les erreurs de l'intelligence, et c'est là tout Rachilde.



(12-07-1926)
CLAUDE FARRERE

J'imagine volontiers que feu César Borgia dut avoir une main comme celle qui me frappa chez M. Claude Farrère. Très racée, cette main grande, spatulée, aux doigts longs, maigres et nerveux de Maharadja qui indiquent un certain dilettantisme de la sensation. Le souci apollonien qui s'y lit du geste en beauté et de l'art dans les moindres manifestations sociales ou intimes, son goût nietzschéen de la vie dangereuse, son éclectisme esthétique appartiennent en effet à l'époque de la Renaissance.
M. Claude Farrère est gouverné par la combinaison astrale de Soleil et de Mars, contradictoire par définition. C'est la main non point du soldat, mais du guerrier médiéval qui risque sa vie pour un sourire et même pour moins. Un courage à toute épreuve, le goût du jeu et du péril, beaucoup de dignité et un orgueil jupitérien sans ombre de vanité. La plaine de Mars raconte un self-control peu commun, grâce auquel il peut boire sans s'enivrer et se livrer à des excès tout en sachant s'arrêter à l'heure propice. Le pouce cependant laisse transparaître une hésitation intellectuelle entre deux chemins à prendre. Sa volonté qui serait forte pour une main normale, n'est peut-être pas suffisante pour cette main fastueuse où tant de talents s'entre-croisent et tant de passions s'entrechoquent.
La ligne de cœur, très riche, indique la sensibilité des violents, c'est-à-dire à son état normal très douce et plutôt tendre, mais capable, lorsqu'elle est blessée, de violences. La ligne de tête dédoublée, souple, longue, subtile, lui confère la faculté de changer de personnage.
Une prodigalité seigneuriale s'exerce non seulement dans le domaine de l'argent, mais aussi dans celui du temps, de l'esprit, de la vie même. Le tempérament est assez riche pour y suffire. M. Claude Farrère aime à vivre un siècle dans chaque minute. Ce qui semble aux oreilles du vulgaire un vacarme épouvantable, devient pour lui, tamisé à travers son goût créateur, un concert délicieux. Il doit se donner à lui-même de belles fêtes d'imagination et d'action.



(20-07-1926)
MARCELLE TINAYRE

Petite main essentiellement féminine que celle de Mme Marcelle Tinayre, avec tout ce que l' « éternel féminin » comporte de force calme dans la pleine conscience d'elle-même.
Une susceptibilité qui a sa pudeur et qui se maîtrise. Une volonté violente et diplomatique à la fois qui sait triompher en cédant et qui connaît les secrets de l'auto-suggestion.
Une sensibilité réservée et fière. Un conflit entre l'intelligence et l'intuition, d'où cette dernière sort souvent victorieuse. Une indépendance si grande qu'elle ne s'abaissera pas plus à choquer les préjugés qu'à les respecter, également indifférente aux éloges et aux blâmes de ceux qui ne sont pas ses amis ou ses intimes. Une modestie à laquelle la publicité est antipathique et qui est très consciencieuse — trop consciencieuse peut-être — dans le travail qu'elle entreprend. Une nature affectueuse, aimante. Un besoin de se dépenser, de se dévouer. La superbe volupté de s'humilier en même temps qu'un bel orgueil. Le sens de l'ordre mais la haine des détails. Un rare talent de compréhension sentimentale et spirituelle. L'amour du foyer. Une bonté sans ostentation. Une indulgence infinie.
Tels sont les traits caractéristiques de cette main, où Vénus est surtout maternelle, tendre et propice ; que Lune asservit presque entièrement à la vie contemplative et qu'Apollon égaie d'un optimisme esthétique. Avec les doigts coniques mi-lisses, mi-noueux, cela forme un curieux mélange d'idéalisme extrême et de bon sens pratique. Mme Marcelle Tinayre possède en plus (ainsi que l'indiquent ses lignes de tête et de cœur et ses rayures sur le Mont de Lune) la merveilleuse faculté d'échapper aux réalités, et de se créer sa propre vie secrète et riche qui n'est pas de ce monde.



(17-08-1926)
GEORGES COURTELINE

Main noueuse et essentiellement philosophique gouvernée par Mercure, Soleil et Lune, telle est la main de M. Georges Courteline. C'est un intellectuel à sensibilité très subtile, très nerveuse, très impressionnable. D'où conflit perpétuel entre l'intelligence souple ainsi que l'indique la ligne de tête fourchue et l'intuition sentimentale. Comme chez presque tous les humoristes, le Mont de Saturne est rayé et trahit un profond pessimisme intime. Rien n'est plus mélancolique que la gaieté de M. Courteline, si ce n'est la gaieté d'un autre homme d'esprit.
Les colères sont rares et sérieuses, les sympathies et les antipathies fort prononcées. Les doigts noueux disent l'esprit critique, l'analyse minutieuse, l'observation impitoyable, l'ordre et la méthode. L'imagination cependant est synthétique et se plaît à construire. Elle sait styliser le « type » dans la multiplicité informe des événements qui passent. L'auriculaire est très sensible au sens du ridicule et des proportions. Le pouce témoigne d'une volonté puissante, diplomatique, persévérante et d'une force consciente d'elle-même.
Nulle trace de vanité. Un orgueil réservé. Une timidité maîtrisée. Beaucoup de fantaisie sous une dignité extérieure. Une bonté immense et une prodigalité générale.
La première éducation est sévère. Néanmoins les opinions de M. Courteline évoluent et se recréent sans cesse, ce qui lui donne une jeunesse d'esprit éternelle. Rien de figé, d'arrêté, de sectaire dans cette main pleine de compréhension. La ligne de destinée prouve que la gloire de M. Courteline n'est due ni à la chance ni au hasard mais à son propre travail. On lit aussi chez lui du mysticisme. Un mysticisme large et un peu spécial, qui lui confère une religion très personnelle.



(17-10-1926)
MME DE NOAILLES

Notre collaboratrice Mme Maryse Choisy nous a donné un portrait de la main de Mme de Noailles.
Mme la comtesse de Noailles, à ce sujet, a bien voulu nous dire comment elle jugeait elle-même la perspicacité de notre collaboratrice.
Voici le portrait, suivi de sa critique :

Le trait caractéristique de cette petite main à grands projets marquée par l'ardeur de Vénus et l'ambition de Jupiter, est une vitalité inépuisable, un désir de boire à fortes lampées toute la vie. Elle « passionnalise » tout ce qu'elle voit. Au contact de Mme de Noailles, mêmes les mathématiques deviendraient passionnelles.
L'imagination est riche et se plaît dans la complication. La ligne de cœur est tourmentée et indique une sensibilité subtile, complexe, très exigeante dans ses affections, inquiète et orgueilleuse. Les ongles, à tendances triangulaires, trahissent une susceptibilité élégante.
L'angle du pouce dit le sens du rythme. Les sympathies et les antipathies sont fortes. La prodigalité embrasse une forme un peu spéciale. La volonté est diplomatique et galopante en même temps (bien que ces deux qualités semblent au premier abord s'exclure). Très féminine dans ses manifestations.
Le mont de Vénus révèle l'amour de la forme, la joie de vivre, une compréhension dionysiaque de l'existence, du bonheur et de la gaieté. L'insouciance est voulue.
Sous une simplicité extérieure, beaucoup de fantaisie et de complications.
Maryse Choisy

Et voici la spirituelle réponse de Mme la comtesse de Noailles :

Cher monsieur, si Mlle Choisy voulait ajouter à ce document qui révèle sa science très sûre et sa grande intuition la remarque indubitable, et dont je suis malheureusement bon juge, que les êtres qui ont une conception violente du bonheur l'ont aussi de la douleur, et que l'excès du caractère peut et doit s'établir dans la tristesse comme dans la joie, je ne verrais rien à reprendre dans cette page qui me frappe par sa justesse et sa divination savante. Je vous prie de croire, cher monsieur, à tous mes sentiments de sincère sympathie.
Comtesse de Noailles